Document de formation en economie industrielle
Document de formation en économie industrielle
1. INTRODUCTION
La structure des économies des pays industriellement avancés du monde a fait l’objet de changements spectaculaires au cours des deux dernières décennies. Des événements comme des chocs des prix pétroliers et de graves récessions ont contribué grandement à ce phénomène, comme l’ont fait aussi des transformations institutionnelles, telles que la libéralisation croissante du commerce mondial et des marchés des capitaux. La modification des profils de la demande des consommateurs des biens vers les services, ainsi que le progrès et la diffusion des technologies ont aussi été des éléments majeurs qui ont contribué à l’évolution économique des pays riches du monde.
Des travaux de recherche montrent que le Canada n’a pas échappé à ce phénomène. Des changements au niveau des tendances structurelles chez nos partenaires commerciaux ont eu pour effet d’exercer des pressions sur notre propre structure industrielle, et des mesures stratégiques importantes qui furent introduites au cours de la dernière décennie ont eu pour effet d’imposer un fardeau additionnel à plusieurs industries canadiennes, de sorte que certaines ont subi un recul, tandis que d’autres ont pris de l’expansion. On a soutenu que, pendant les années 80, il s’est produit un changement fondamental dans la nature de la création de la richesse au Canada et qu’il est donc indiqué de repenser nos politiques économiques (Richard Harris, 1993). Nuala Beck (1992) et d’autres ont mis l’accent sur l’importance croissante des industries à valeur ajoutée élevée et à fort contenu de savoir dans l’* économie innovatrice + de demain .
La plupart des travaux de recherche réalisés à ce jour se sont inscrits dans une optique macroéconomique. Dans cette étude, nous adoptons une approche microéconomique fondée sur une analyse par industrie, dans la tradition du rapport récent de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 1992) intitulé Changement structurel et performance économique (1992).
Les auteurs du rapport de l’OCDE ont examiné la composition sectorielle de la production dans sept pays membres majeurs (Australie, Canada, France, Allemagne, Japon, Royaume-Uni et États-Unis) dans le but de chiffrer la portée et la direction du changement structurel qui s’est produit dans chacun de ces pays pendant les années 80. La technique utilisée pour ce faire est une analyse de décomposition d’entrées-sorties – une approche qui reflète la structure logique d’un modèle d’entrées-sorties. Elle permet de relier les changements dans la structure de production d’une industrie aux sources de variations – c’est-à-dire, les déplacements structurels attribuables à la demande finale intérieure, aux exportations, aux importations de produits finals et intermédiaires, et au progrès technique (mesuré à partir des variations dans les coefficients d’entrées-sorties).
L’analyse de l’OCDE a permis de faire ressortir plusieurs constatations intéressantes parmi les pays étudiés pour la période 1981-1986 :
• Les services et les industries manufacturières à haute technicité ont enregistré des gains importants au niveau des parts de production dans les sept pays;
• Les industries manufacturières à faible technicité, la construction, le secteur des richesses naturelles et certaines industries manufacturières à technicité moyenne sont en déclin;
• Le progrès technique a été un élément déterminant important du changement structurel et de la composition industrielle dans les sept pays étudiés; en particulier, il fut le facteur principal du déclin des industries manufacturières à faible technicité;
• Les exportations et les importations ont contribué de façon significative à la croissance des industries à haute technicité et au déclin de celles à technicité moyenne;
• Tout compte fait, la demande finale intérieure fut la force motrice prédominante qui a alimenté l’expansion des industries classées dans le groupe des activités * à croissance élevée +.
Parmi les conclusions applicables précisément à la situation canadienne figurent les suivantes :
• Le changement structurel au Canada a pris une orientation qui a été loin d’être idéale. Le Canada (et l’Australie) n’ont enregistré que des changements mineurs au niveau des parts relatives de la production, qu’il s’agisse de l’augmentation de la part des industries à croissance rapide ou de la contraction de la part des industries manufacturières à faible technicité. Le Japon semble se rapprocher le plus de la situation idéale en ce qui concerne l’orientation du changement de sa structure industrielle. Le Canada fut l’un des deux seuls pays à avoir enregistré des gains dans la catégorie des industries manufacturières à technicité moyenne (graphique 1-1)
• La croissance alimentée par les exportations a joué un rôle plus important au Canada que dans la plupart des autres pays. Ce résultat est attribuable surtout à la performance de l’industrie de l’automobile, qui est à l’origine des gains observés au niveau des parts de production des industries manufacturières à technicité moyenne.
Dans cette étude, nous étendons l’analyse contenue dans l’étude de l’OCDE (1992) pour le Canada en utilisant les données des tableaux d’entrées-sorties de Statistique Canada pour trois sous-périodes :
1971-1981, 1981-1986 et 1986-1991. Notre étude se penche sur les questions suivantes : Quelle a été la portée du changement structurel dans l’économie canadienne ? Quelles sont les industries qui ont pris de l’expansion et quelles sont celles qui ont tiré de l’arrière ?
• Le rythme du changement structurel s’est-il accéléré ?
• L’économie canadienne est-elle en voie de devenir plus innovatrice ? Son utilisation du savoir, de la technologie et des qualifications professionnelles s’intensifie-t-elle ?
• Quels sont les facteurs clés à l’origine du changement structurel : la demande finale intérieure, les exportations, les importations ou le progrès technique (mesuré à l’aide des changements observés au niveau des coefficients d’entrées-sorties) ?
Nous utilisons une ventilation industrielle plus poussée que celle de l’OCDE (111 industries au lieu de 33) et nous faisons reposer notre analyse sur une période d’échantillonnage plus longue. Aspect plus important encore, notre étude s’étend jusqu’en 1991, tandis que celle de l’OCDE s’arrête en 1986. Par conséquent, l’un des objectifs majeurs de notre étude consiste à déterminer si les tendances observées dans l’étude de l’OCDE se sont poursuivies ou si elles se sont modifiées depuis le milieu des années 80. D’après l’étude de l’OCDE, l’orientation du changement structurel observé au Canada est * loin d’être idéale +. Nous espérons être en mesure d’établir si cette conclusion tient toujours ou si, en fait, le Canada a commencé à se rapprocher de la situation qui prévaut dans les économies des chefs de file industriels du monde.
Malheureusement, les tableaux d’entrées-sorties de Statistique Canada ne sont pas disponibles sur une base comparable en dollars constants pour l’ensemble de la période allant de 1971 à 1991. Des données en dollars constants ne sont disponibles que pour trois souspériodes à l’intérieur de cette période plus longue : 1971-1981, 1981-1986 et 1986-1991; les données de 1986 sont évaluées en dollars de 1981 mais non en dollars de 1971, et les données de 1991 sont exprimées en dollars de 1986, mais non en dollars de 1981 ou de 1971. Les calculs pour toutes les mesures de changement furent faits pour les trois sous-périodes .
Dans cette étude, nous présentons une analyse du changement structurel tant à l’échelle globale qu’à celle de l’industrie. Nous repérons les industries à croissance rapide, lente et négative, et nous analysons le rythme du changement structurel qui s’est produit au fil du temps.
Puis, nous nous demandons si l’industrie canadienne est en voie de devenir plus innovatrice en examinant l’évolution du contenu en savoir, du niveau de technicité et des exigences en matière de qualifications professionnelles des industries canadiennes. Nous analysons aussi les facteurs du côté de la demande qui alimentent les déplacements de production. Enfin, nous présentons un sommaire et les conclusions de notre analyse dans le dernier chapitre de l’étude.
2. ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE INDUSTRIELLE DE L’ÉCONOMIE CANADIENNE
Quelle a été la portée du changement structurel dans l’économie canadienne ? Notre analyse s’articule autour de trois éléments principaux : le changement à l’échelle globale, le changement à l’échelle de l’industrie et le rythme du changement structurel.
Changement à l’échelle globale
À l’instar de ce qui s’est produit dans les autres pays industrialisés, la structure de production de l’économie canadienne a subi une évolution régulière pendant les dernières décennies. Le Canada a connu une croissance relativement rapide de sa production pendant les années 70 : la production brute réelle s’est accrue à un rythme annuel de 4,1 p. 100 entre 1971 et 1981, mais le taux a ralenti par la suite. Les quatre grands secteurs industriels (les industries primaires, la fabrication, la construction et les services) ont enregistré des taux de croissance positifs depuis les années 70, mais seule la croissance des services a été supérieure à celle de l’ensemble de l’économie (tableau 2-1).
L’incidence de taux de croissance divergents devient manifeste lorsqu’on examine l’évolution au fil des années des parts absolues de la production brute par secteur (tableau 2-2).
….
1 Points de pourcentage, fondés sur des données exprimées en prix de 1971 (1971-1981), en prix de 1981 (1981-1986) et en prix de 1986 (1986-1991).
Les parts de la production des secteurs primaire et secondaire et de la construction ont subi un recul pendant chacune des sous-périodes, mais celle du secteur des services s’est accrue, de sorte qu’en 1991, la production brute des services représentait près de 45 p. 100 de la production totale (en dollars de 1986).
Le tableau 2-3 donne un aperçu des modifications observées au niveau des parts relatives de la production brute des principaux secteurs industriels, lesquelles mesurent les écarts sectoriels par rapport à la croissance moyenne de la production de l’ensemble de l’économie. Une industrie dont la croissance est supérieure à la moyenne verra sa part de la production augmenter et vice versa.
Le recul le plus spectaculaire s’est manifestement produit dans le secteur manufacturier, dont la part de la production a enregistré une chute de plus de 3 points de pourcentage pendant les années 70, de presque 0,5 point entre 1981 et 1986, et de plus de 2,5 points de pourcentage depuis 1986. Soulignons toutefois que la dure récession survenue à la fin de la période étudiée – qui a frappé le secteur manufacturier plus tôt et plus sévèrement que les autres secteurs – fut un élément majeur qui a contribué à la baisse récente de la part de la production de ce secteur.
La montée du secteur des services est tout aussi spectaculaire que le recul du secteur manufacturier. Dans son étude de 1992, l’OCDE a conclu que le secteur des services des sept pays étudiés avait connu une expansion sous l’impulsion surtout du groupe des services financiers (qui comprend les services commerciaux ainsi que l’industrie des finances, de l’assurance et de l’immobilier). Cette conclusion s’applique encore à l’économie canadienne, puisque six des onze industries les plus performantes sur la base des parts relatives de la production étaient des industries de services pendant la sous-période 1986-1991. Dans l’ensemble, les industries de services ont vu leur part relative de la production brute augmenter d’environ 5 points de pourcentage pendant les années 80.
Enfin, les industries primaires et celle de la construction semblent n’avoir fait ni des gains ni des pertes significatives au niveau de leurs parts relatives de la production. Les deux secteurs semblent du moins avoir mis un frein au mouvement de contraction qui les avait caractérisés pendant la période 1971-1986.
Changement à l’échelle de l’industrie
Ces déplacements bien connus au niveau des profils sectoriels s’accompagnent de changements à l’échelle des diverses industries. L’évolution à l’échelle globale décrite plus haut est une tendance familière que l’on observe à la grandeur du monde industrialisé, mais elle est peu révélatrice du caractère dynamique des changements qui ont une incidence sur l’économie à l’échelle de l’industrie
Industries à croissance élevée
L’examen du panorama industriel canadien à partir d’une désagrégation en 33 industries – une classification qui correspond à la ventilation utilisée dans l’étude de l’OCDE (1992) – au lieu des quatre grands regroupements utilisés précédemment nous permet de repérer les moteurs de la croissance de l’économie canadienne, c’est-à-dire, les industries dont les taux de croissance ont été systématiquement supérieurs à la moyenne (tableau 2-4).
Des 13 industries qui figurent sur la liste des chefs de file de la croissance industrielle pendant la sous-période 1986-1991, huit apparaissent aussi dans le classement des industries les plus performantes durant les deux sous-périodes précédentes. Donc, ces huit industries – ordinateurs et matériel de bureau, matériel de communications et semiconducteurs, services de communications, immobilier et services commerciaux, services personnels, sociaux et communautaires, produits pharmaceutiques, électricité, gaz et eau, finances et assurance – peuvent être considérées comme les * moteurs de la croissance + au Canada. Quatre autres industries apparaissent aussi dans les trois regroupements : la construction d’aéronefs (ou aérospatiale), les mines, le commerce de gros et de détail, et les métaux non ferreux. Une seule industrie (curieusement, il s’agit de l’industrie de la construction et de la réparation de navire) figure pour la première fois dans le regroupement le plus récent des industries à croissance rapide.
En ce qui concerne le type d’industries qui ont dominé le palmarès de la croissance, on observe une répartition à peu près égale d’industries manufacturières et d’industries de service pendant la sous-période 1986-1991, les trois premières de la liste appartenant au secteur manufacturier.
La plupart des industries individuelles qui figurent parmi les 10 premières pendant les trois sous-périodes appartiennent au secteur des services – y compris celles des finances et de l’assurance, des services de communications et des services personnels, sociaux et communautaires; par ailleurs, les industrie de l’immobilier et des services commerciaux se sont classées parmi les cinq premières pendant les trois sous-périodes.
Industries à croissance lente
Les tableaux 2-5 et 2-6 contiennent la liste des industries dont les taux de croissance furent inférieurs à la moyenne et négatifs, respectivement. À l’instar des industries à croissance élevée, les industries qui ont enregistré tout récemment une croissance inférieure à la moyenne ont aussi tendance à se retrouver parmi celles qui avaient subi un recul pendant les périodes antérieures. Il est intéressant de souligner qu’elles font à peu près toutes partie du secteur manufacturier.
Ces tableaux indiquent que la plupart des industries manufacturières à caractère traditionnel font face à un processus d’adaptation rigoureux. Plusieurs d’entre elles interviennent pour des proportions relativement importantes de la production manufacturière totale. Pendant les trois sous-périodes, les industries en déclin comprennent les textiles, le vêtement, la chaussure et le cuir; les aliments, les boissons et le tabac; le bois, les produits du bois et le meuble; les appareils et le matériel électriques; le fer et l’acier; la fabrication d’autre matériel de transport; les autres industries manufacturières et des industries lourdes comme les produits métalliques ouvrés, les produits des minéraux non métalliques, le raffinage et les produits du pétrole. En plus de celles-ci, on trouve d’autres industries productrices de biens comme l’agriculture, la foresterie et la pêche, ainsi que l’industrie de la construction (tableau 2-7)
…
Rythme du changement structurel
L’analyse présentée ci-dessus indique que la portée du changement a été sensiblement différente d’un secteur à l’autre. Une analyse plus rigoureuse s’impose pour déterminer si les changements dans la composition structurelle de la production se sont accélérés au fil du temps.
Plusieurs indicateurs statistiques peuvent être utilisés pour mesurer le rythme de changement structurel. Au tableau 2-8, nous présentons deux mesures du changement structurel observé au niveau de la production, qui furent aussi employées par l’OCDE (1994). Le premier indicateur, mis au point par Lilien (1982), est l’écart-type pondéré de la croissance annuelle de la production par secteur; le deuxième, élaboré par Layard et coll. (1991) et connu sous le nom d’indice de dissimilitude, correspond à la moitié de la somme des variations absolues des parts de la production par secteur . Le fait de calculer des moyennes pour chacune des sous-périodes 3 permet de retrancher les fluctuations conjoncturelles de la production sectorielle. Comme ces mesures peuvent être sensibles au niveau d’agrégation sectorielle, nous utilisons deux niveaux de désagrégation industrielle (50 et 111 industries).
…
Les deux indicateurs autorisent à penser que le rythme de changement structurel au Canada fut le plus accentué pendant la première moitié des années 80. Ce résultat est compatible avec des conclusions de l’OCDE (1992) et du ministère des Finances (1992). Toutefois, une fraction importante de la hausse des deux indicateurs pendant la sous-période 1981-1986 pourrait être attribuable à la récession particulièrement sévère qui est survenue au début de la décennie. En d’autres termes, des facteurs conjoncturels pourraient avoir contribué au degré particulièrement élevé du changement structurel mesuré au cours de cette période.
Les deux indicateurs montrent que le rythme du changement structurel pendant la période 1986-1991 a soit diminué ou est demeuré le même par rapport à la tendance observée durant les années 70. Il semble donc que le Canada ait traversé une période de réalignement industriel majeur entre le début et le milieu des années 80, par rapport à la situation des années 70 et de la deuxième moitié des années 80. Cette constatation met aussi en relief l’importance du changement structurel en tant qu’élément qui a contribué à façonner le panorama économique du Canada pendant la période étudiée. Le changement structurel ne semble être ni plus ni moins prononcé à l’heure actuelle qu’il ne l’était au début des années 70.
TABLE DES MATIÈRES
SOMMAIRE .................................................................. i
1. INTRODUCTION .......................................................... 1
2. ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE INDUSTRIELLE
DE L’ÉCONOMIE CANADIENNE ....................................... 5
Changement à l’échelle globale ............................................ 5
Changement à l’échelle de l’industrie ...................................... 7
Industries à croissance élevée ........................................ 7
Industries à croissance lente ........................................ 8
Rythme du changement structurel ........................................ 10
Sommaire ............................................................ 11
3. LA VOIE DU CHANGEMENT ............................................. 13
Une mutation vers les industries du savoir ? ................................ 13
Ensemble du secteur des entreprises ................................ 16
Secteur manufacturier .................................................. 19
Niveau de savoir ................................................. 19
Niveau de technicité .............................................. 22
Niveau de qualifications professionnelles ............................. 24
Niveaux de salaires ............................................... 26
Orientation sectorielle ............................................. 27
Rythme du changement structurel ................................... 29
Secteur des services .................................................... 30
Sommaire ............................................................ 33
Ensemble du secteur des entreprises ................................. 33
Secteur manufacturier ............................................ 33
Secteur des services ............................................... 33
4. SOURCES DE CROISSANCE DE LA PRODUCTION ......................... 35
Secteur manufacturier .................................................. 36
Niveau de savoir ................................................. 37
Niveau de technicité .............................................. 43
Niveau de qualifications professionnelles ............................. 46
Niveaux de salaires ............................................... 47
Orientation sectorielle ............................................. 47
Secteur des services .................................................... 49
Services à fort contenu de savoir .................................... 50
Services à faible contenu de savoir ................................... 51
Secteur des ressources naturelles ......................................... 54
5. CONCLUSIONS .......................................................... 57
APPENDICES .............................................................. 61
NOTES .................................................................... 85
BIBLIOGRAPHIE ........................................................... 89
PUBLICATIONS DE RECHERCHE D’INDUSTRIE CANADA .................... 93