Cours sur les bases de la finance islamique
Cours sur les bases de la finance islamique
La finance islamique : vous avez dit investissement halal ?
La finance islamique se rapproche-t-elle de la finance socialement responsable ou encore de la finance solidaire en Belgique ? Cette analyse présente les grandes lignes de la finance islamique et dresse un état des lieux plus précis de la sélection extrafinancière des investissements conformes à la charia.
Introduction
La finance islamique est une finance (« mobilisation des ressources financièreset leur allocation entre différents projets d'investissement ») respectantles principesédictés par la charia. Rappelons que cette dernière correspond à l'ensemble des interprétations du Coran et de la Sunna.
La forme « moderne » de cette finance a vu le jour dans les années 1960. Elle repose sur des caractéristiques, si pas étonnantes, au moins particulières, dont la plus importante est l'interdiction de l'usure et, par conséquent, de toute forme d'intérêt fixe et prédéterminé, le riba.
Pour rester à la hauteur de ses convictions, la finance islamique a dû inventer des produits financiers et des contrats commerciaux qui se distinguent de ceux de la finance traditionnelle.
La finance socialement responsable est également issue de considérations religieuses, réprouvant ce qui est nuisible pour l'homme et la société. Encore aujourd'hui, certains fonds ISR (investissements socialement responsables) existent grâce à des initiatives religieuses. C'est, par exemple, le cas de la fondation Saint-Paul qui propose le fonds Evangelion. Cependant, la majorité des fonds ISR se basent aujourd’hui sur des critères environnementaux, éthiques, sociaux et de bonne gouvernance (ÉESG).
Caractéristiques et mise en contexte de la finance islamique
« Ceux qui mangent l'argent de l'usure ne se trouvent que dans le cas où se trouventceux qui sont touchés par le diable. Ils ont prétendu que l'usure est comme le commerce. Dieu a autorisé le commerce et a interdit l'usure. Celui qui se rétracte sera rétribué et sa destinée est à Dieu, et celui qui récidive fera partie des compagnons de l'enfer pour l'éternité. »
(Al-Baqara, 275)
Voilà un passage du Coran relativement éloquent qui témoigne de l'interdiction, d'une part, du riba et, d'autre part, de manœuvres purement financières non liées à des activités économiques. Afin de respecter ces saintes paroles, les jurisconsultes musulmans ont édicté un certain nombre de principes propres à la finance islamique dont les particularités principales sont les suivantes :
Le gharar, qui interdit l'incertitude et donc la spéculation. D'où l'obligation pour toute transaction financière d'être adossée à un sous-jacent réel et tangible et l'interdiction d'utiliser les produits dérivés traditionnels ainsi que la vente à découvert. Cela veut dire que chacune des transactions financières doit être combinée à un fait économique. Les transactions financières ne peuvent être qu'un outil d'échange et non une fin en soi.
Le principe des 3 P (partage des pertes et des profits) que l'on retrouve principalement dans le contrat musharakah. Ce dernier peut être assimilé à une joint venture.Le partage des profits et bénéfices se fait entre l'investisseur et
- Il existe des contrats qui permettent de décider aujourd'hui du prix d'échange d'un bien à une date ultérieure. Ce sont les contrats future. Dans la pratique, à l'échéance, seule une minorité de ces contrats occasionnent réellement la livraison du bien, car celle-ci n'est pas toujours réalisable. C'est le cas notamment des contrats future sur indice. L'indice étant un panier d'actions, il n'est pas possible d'effectuer une livraison comme on pourrait le faire avec un contrat directement lié à du bétail ou du blé. Dans ce cas, seul un échange financier a lieu, ce qui n'est pas toléré par l'entrepreneur selon un prorata qui est défini à l'avance.
Le bannissement des activités jugées haram, illicites, par la charia. L'industrie porcine, l'alcool, le tabac, la pornographie, les services financiers traditionnels, les armes et les munitions, les jeux de hasard et le cinéma sont autant d'exemples d'activités non autorisées par la finance islamique.
La purification des revenus. Cette opération consiste à reverser une partie des bénéfices à une œuvre de bienfaisance. Les bénéfices reversés sont ceux provenant d'une activité jugée haram.
Le sharia board, conseil de spécialistes dont le but est de vérifier la conformité des pratiques et produits financiers avec la charia.
Où en est-on aujourd'hui en Europe ?
C'est le Royaume-Uni qui, en 2004, fut le premier pays européen à parier sur le succès de ce marché de niche. D'aucuns diront que ce choix fut davantage motivé par l'opportunité d'accueillir les pétrodollars de la région du Golfe que par le souhait de proposer une gamme de produits conformes aux valeurs religieuses d'une communauté musulmane en expansion. Mais ceci est une autre histoire.
Ainsi, avec ses quelque 18 milliards de dollars, soit environ 13,8 milliards d'euros, brassés par la finance islamique, le Royaume-Uni occupe maintenant la 8e place du classement mondial en terme de quantité. Par ailleurs, selon le site de l'observateur de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la clientèle des banques islamiques se compose pour moitié de non-musulmans.
Pour donner un ordre de grandeur, selon le UKsif, le Royaume-Uni comptait, en 2009, environ 60,7 milliards d'euros placés dans les investissements socialement responsables. Notons qu'il s'agit ici des données « core SRI».
En Belgique, fin 2010, l'encours ISR tournait aux alentours de 13,21 milliards d'euros selon le Réseau Financement Alternatif (RFA).
Depuis lors, d'autres pays sont, à leur tour, entrés dans la danse. C'est le cas par exemple de la France, de l'Allemagne et du Luxembourg. En France, les banques islamiques proposent maintenant des comptes courants sans intérêt et des prêts hypothécaires conformes à la charia.
En Belgique, Fortis avait lancé, il y a quelques années, une SICAV halal. D'après M. Boulif, spécialiste de la finance islamique, ce fonds « Fortis B Fix 2008 Islamic Index 1 » n'était pas conforme à certains principes fondamentaux de la finance islamique. Il n'était d'ailleurs pas géré par un sharia board au sein de la banque.
Par ailleurs, la presse belgea annoncé la probable arrivée d'un compte courant conforme à la charia de la banque Chaabi pour juin 2012. Inch'Allah ?
Quelles possibilités d'investissement ?
En finance islamique, on peut différencier deux grandes catégories de produits d'investissement :
1. Portefeuille de titres conformes à la charia
Dans ce cas, deux solutions se présentent :
- soit les titres sont issus d'un benchmark islamique et le sharia board de la banque se réfère au sharia board de cet indice boursier (exemple : le Dow Jones Islamic Market Index) ;
- soit le portefeuille est une création de la banque elle-même, c'est alors au sharia board de la banque en question de s'assurer que les titres sont conformes à la charia. Pour ce faire, les entreprises sont analysées soit en interne par le département de gestionnaires d'actifs de la banque, soit en externe par un comité de gestionnaires d'actifs indépendant.
- Le financement d'un projet
Le sharia board va examiner en interne si le projet est conforme aux principes de la charia. Notons que la banque a une autre attitude dans le financement de projet que dans la création d'un portefeuille de titres. Elle sera beaucoup plus stricte et se sentira beaucoup plus concernée.
En effet, il est plus difficile pour l'actionnaire d'un fonds de dialoguer avec les entreprises étant donné le petit poids qu'il a dans leur capital. Au contraire, lorsqu'une banque finance presque la totalité d'un projet, le dialogue peut être plus poussé et les marges de manœuvre de la banque pour influencer les décisions de l'entreprise sont plus importantes. La banque est donc plus rigoureuse et exige une conformité à 100 % des actions du projet avec les préceptes de la charia.
En ce qui concerne l'investissement socialement responsable, il existe trois grandes catégories de produits :
- les comptes d’épargne (ex. : le compte cigale de BNP Paribas Fortis) ;
- les fonds d'investissement (ex. : Triodos Sustainable Pioneer Fund) ;
- les autres types d'investissement socialement responsable, comme les parts de coopérateurs et les groupes de proximité (ex. : part de Crédal ou la fourmi solidaire).
Une sélection conforme à la charia ?
Lorsqu'une banque désire investir dans un projet, son sharia board procède à un « filtrage islamique ». Il s'agit d'un processus assez mécanique dont le but est de vérifier la conformité des investissements avec la charia. Ce processus consiste à faire passer le futur investissement à travers deux filtres l'un, extrafinancier, et l'autre, financier afin de s'assurer qu'il respecte les grands principes de la finance islamique.
Filtre extrafinancier
Ce filtre vérifie que l'entreprise ne s'adonne, ni dans son activité principale, ni dans une activité secondaire, à des activités relevant des secteurs suivants :
- l'alcool ;
- les armes et munitions ;
- l'industrie porcine ;
- les services financiers et bancaires non islamiques ;
- le tabac (pas automatiquement16, mais la tendance est de l'écarter) ;
- les loisirs (jeux du hasard, érotisme, pornographie, cinéma...) ;
- l'hôtellerie et l'aviation.
Ces activités sont considérées comme haram (illicites) selon la loi islamique.
Certaines industries (comme le tabac, l'alcool, la pornographie...) sont aussi souvent exclues des investissements socialement responsables. Ce sont des exclusions sectorielles sur la base de critères éthiques.
Les ISR peuvent aussi exclure des entreprises sur base normative. La norme la plus utilisée est le Global Compact quia établi une liste de dix principes relatifs aux droits de l'homme, dutravail, de l'environnement et de la corruption.
Il est intéressant de noter qu'il existe également une proposition de loi, s'appuyant sur une étude du RFA, qui définit une norme minimale ISR basée sur les traités internationaux ratifiés par la Belgique.
Mais pourquoi la finance islamique exclut-elle l'hôtellerie et l'aviation ? Tout simplement car ces industries ont l'habitude de servir de l'alcool. Par exemple, une compagnie comme Qatar Airways, même dans un pays islamique, servira des boissons alcoolisées pendant le vol. La vente d'alcool est considérée comme une activité secondaire de ces industries et n'est tolérée que si elle ne dépasse pas un certain pourcentage des revenus totaux de l'entreprise. Ce seuil varie entre 5 et 15 % selon les sharia boards. Néanmoins, les revenus provenant des activités prohibées doivent être purifiés.
Ne pas confondre la purification des revenus avec la zakat (un des piliers de l'Islam) qui représente la somme que les individus et les entreprises doivent verser aux pauvres annuellement selon le montant de leurs avoirs nets.
En pratique, les promoteurs de produits ISR tolèrent également des seuils de non-conformité avec leurs valeurs. C'est-à-dire, qu'ils acceptent de financer des organisations qui sont partiellement impliquées dans des activités figurant parmi les secteurs d'exclusion. Ces seuils de tolérance sont généralement calculés en pourcentage du chiffre d'affaires et varient selon les promoteurs de fonds. À titre d'exemple, la Banque Triodos consent des crédits aux organisations dont l'implication dans des secteurs jugés non éthiques ne dépasse pas 5 % du chiffre d'affaires de leurs activités.
À l'heure actuelle, la finance islamique n'utilise que des critères d'exclusion. Il y a une certaine prise de conscience sur la notion de critères positifs pour sélectionner les entreprises, mais rien n'est encore prévu dans la pratique.
Contrairement à la finance islamique, l'ISR prend également en considération des critères positifs afin d'encourager le financement de certaines activités. Cela peut être mis en place à travers une stratégie de best-in-class, ou encore à travers des fonds thématiques.
Le best-in-class consiste à retenir les organisations ayant obtenu les meilleurs scores sur des critères ÉESG, pour un secteur donné.
Les fonds thématiques, quant à eux, rassemblent des entreprises actives dans un domaine en particulier (ex. : le traitement des déchets, les énergies renouvelables...).
Pour résumer, les sharia boards vont établir un filtre pour savoir ce qui est acceptable ou non acceptable. Un autre exemple, prenons une firme qui réalise et commercialise des films, les sharia boards ne vont pas analyser quel est le pourcentage de films autorisés ou non autorisés, et donc, par précaution, ils vont directement exclure toute la firme.
Filtre financier
Ainsi, après le screening extrafinancier, le sharia board analyse la structure capitalistique de l'entreprise à l'aide de deux ratios qui ne peuvent dépasser un seuil défini par les jurisconsultes musulmans (généralement entre 33 et 49 %). Notons qu'aucun texte scripturaire ne mentionne ces taux, qui sont en fait :
le ratio de la dette sur la capitalisation boursière ;
le ratio des liquidités et titres porteurs d’intérêts détenus par l’entreprise sur la capitalisation boursière.
Pourquoi étudier ces ratios ? Tout simplement pour connaître l'ordre de grandeur des dettes, car qui dit « dettes », dit généralement « riba », et des liquidités, parce que le fait que les titres aient un sous-jacent quasi monétaire est fortement suspect selon les règles de la finance islamique.
La purification des revenus
La purification consiste donc à reverser les revenus impurs, c'est-à-dire, provenant des secteurs prohibés, à des œuvres caritatives, par exemple pour la lutte contre le cancer.
Une anecdote illustre ce propos. Dans les années 2000, un sharia board reçoit un appel signalant qu'une entreprise liée à l'automobile, détient des placements de trésorerie illicites de plus de 15 %. Le sharia board doit alors examiner la situation de plus près :
- s'agit-il d'un phénomène temporaire ? Dans ce cas, la décision est généralement de garder l'entreprise dans son portefeuille et de purifier les revenus.
- s'agit-il d'un phénomène permanent irréversible, par exemple, lié à une fusion ? Dans ce cas, les gestionnaires d'actifs reçoivent l'ordre de liquider leurs positions dans les 3 à 6 mois. Après 6 mois, ils doivent avoir liquidé leurs positions mais les sharia boards leur laissent une marge de manœuvre de quelques mois pour ne pas devoir vendre à un moment inopportun, ce qui pourrait fortement endommager le rendement du portefeuille.
Le montant reversé et le nom des œuvres caritatives bénéficiaires sont rendus publics dans les états financiers annuels de la banque.
La démarche de la purification des revenus n'est pas tellement éloignée de celle des produits financiers avec partage solidaire, qui consiste à reverser une partie des bénéfices tirés d'un investissement à une association. Souvent, dans la finance solidaire, l'investisseur peut choisir lui-même à qui il reverse ses bénéfices. Dans la finance islamique, l'investisseur ne choisit pas, il s'en réfère à la politique de la banque ou du fonds.
Les sharia boards
Les membres de ces comités sont des théologiens qui ont, en principe, suivi une formation en économie ou en finance. Chaque banque possède son propre shariaboard. Ce comité se charge de vérifier la conformité des actions prises par la banqueavec la charia et octroie également un certificat « sharia compatible » aux fonds d'investissement halal.
En pratique, un travail de fond quotidien de contrôle et d'arbitrage est effectué par ces sharia boards internes à la banque. De plus, une à deux fois par an, un shariaboard externe vient auditer leur travail.
Une autre anecdote citée par M. Boulif montre le type de décision que ces comités doivent prendre. En Malaisie, il y avait une entreprise dont l'activité principale concernait l'aluminium, donc tout à fait halal. Cependant, à un moment donné, les membres du sharia board ont remarqué qu'une grande partie du chiffre d'affaires de cette entreprise provenait d'une société partenaire. Cette dernière se servait de l'aluminium pour fabriquer des canettes contenant de l'alcool. Le shariaboard a alors mis un point d'arrêt au financement de cette entreprise.
Différents courants de pensée coexistent dans ces sharia boards. Il y a quatre écoles juridiques sunnites différentes et une chiite. Selon M. Boulif, on ne peut pas affirmer que l'une est plus laxiste que l'autre, car il s'agit surtout d'une question d'interprétation.
L'AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions) est un organisme qui donne des directives pour tenter d'harmoniser les différents courants. Il définit certaines normes (ex. : le devoir d'informer le client dans les rapports annuels) et donne des fatwa, qui sont des avis juridiques concernant certaines questions particulières.