Cas pratique bail commercial corrige
Cas pratique bail commercial corrigé
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Cas pratique :
Correction proposée : elle respecte les consignes demandées dans le devoir, les réponses doivent être courtes mais précises, elles ne contiennent que les éléments indispensables, les hors sujet sont pénalisés.
Monsieur et Madame Caramel viennent vous voir pour vous demander :
- Comment transformer l'arrière-salle du restaurant en discothèque ?
Les restaurateurs exercent leur activité dans un grand local loué, appartenant à M. Vernon, leur bailleur. Ils sont donc titulaires d'un bail commercial et ajouter une activité de discothèque à leur activité de restauration actuelle relève d'un cas de « déspécialisation ».
Il s'agit ici d'une déspécialisation plénière, les deux activités n'étant ni connexes ni complémentaires, la clientèle en étant différente, et les travaux nécessaires étant très importants.
C'est donc une procédure exceptionnelle, qui nécessite l'autorisation du bailleur, avant tout changement. Cette autorisation doit être demandée par acte extrajudiciaire, le bailleur ayant trois mois pour y répondre.
Pendant ce délai, les locataires doivent, en avertir les créanciers inscrits sur leur fonds et le bailleur doit en avertir ses autres locataires.
Il peut refuser la déspécialisation :
- si elle n'est pas motivée par les nécessités de la conjoncture économique ;
- si elle est contraire au règlement de copropriété de l'immeuble (activité bruyante) ;
- si une clause de non concurrence a été consentie à un autre locataire du même bailleur pour cette activité...
Si le bailleur accepte la déspécialisation, il peut demander immédiatement une augmentation de loyer non-plafonné, et il faut régler avec lui le sort qui sera réservé, en fin de bail, aux transformations du local.
Les contestations seront du ressort du TGI du lieu de situation de l'immeuble.
- Quelle garantie proposer à la banque ?
On pourrait évoquer une garantie classique : le cautionnement personnel de l'un ou des deux époux. Mais, en matière de fonds de commerce, la garantie la plus courante est le nantissement conventionnel du fonds de commerce : il s'agit d'un contrat par lequel les restaurateurs mettront leur restaurant, en gage sans dépossession, au profit de la banque.
Le nantissement doit être établi par écrit enregistré et être inscrit sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce. Il prend rang à sa date d'inscription. Il ne porte que sur les éléments incorporels du fonds, plus le matériel s'il est prévu dans l'acte, mais jamais sur les marchandises.
Il permet au banquier d'obtenir une sûreté réelle, assise sur le fonds de commerce des Caramel, qui lui donnera un droit de préférence (être payé, sur le prix de vente du fonds aux enchères, en fonction de son rang) et un droit de suite (suivre le fonds de commerce en quelques mains qu'il passe, même s'il est vendu après l'inscription du nantissement).
Une hypothèque sur l'immeuble est totalement à exclure ici, puisque les Caramel n'en sont pas propriétaires.
- Quelles précautions doit prendre l'acquéreur du fonds ? Quelles sont les garanties de paiement des vendeurs ?
- La situation de l'acquéreur du fonds de commerce
Il faut signaler deux séries de précautions que doit prendre l'acquéreur :
- vérifier la présence des mentions obligatoires de l'acte de vente du fonds de commerce et prendre effectivement connaissance de leur contenu, elles sont là pour sa complète information. En ce sens, il doit, par exemple, prendre connaissance de la comptabilité des trois dernières années d'exploitation, et rencontrer M. Vernon, le bailleur, dont il doit vérifier qu'il a bien été appelé à concourir à l'acte ;
- ne surtout pas payer le vendeur avant la fin des délais d'opposition (10 jours après la deuxième publication de la vente) et de surenchère du 1/6e (20 jours après la deuxième publication de la vente) ouverts aux créanciers du vendeur, car sinon il risque de devoir payer deux fois... Il vaut mieux qu'il consigne le prix chez un tiers, en attendant la fin de ces délais.
- Les garanties de paiement des vendeurs
Le vendeur d'un fonds de commerce, s'il n'est pas payé comptant, peut bénéficier de deux grandes garanties :
- le privilège du vendeur de fonds : à inscrire dans les 15 jours de la vente, il rétroagit à la date de l'acte de vente et prime donc toutes les inscriptions du fait de l'acquéreur. Il donne, au vendeur inscrit, un droit de suite et un droit de préférence sur le prix du fonds, mais il a l'inconvénient d'être fractionné élément par élément ;
- l'action résolutoire : à inscrire en même temps que le privilège, elle permet au vendeur impayé de faire résoudre la vente, et de rentrer en possession du fonds, en échange de la restitution du prix déjà versé par l'acquéreur. Elle est parfois difficile à exercer.
Pour conforter ces garanties qui lui sont spécifiques, le vendeur peut demander à l'acquéreur de lui consentir le plus rapidement possible un nantissement conventionnel, qui aura l'avantage de ne pas être fractionné, même s'il ne s'exerce que sur les éléments incorporels (et le matériel si on le prévoit ainsi) et même s'il n'est inscrit qu'après le privilège.
Par ailleurs, le vendeur à crédit, en tant que créancier inscrit sur le fonds, bénéficie du droit à l’information sur les événements graves qui affectent le cours de l’exploitation.
- L’imputation du prix versé par l’acquéreur
Si l’acquéreur doit payer un total de 90 000 euros pour le fonds, dont 40 000 d’éléments incorporels et 10 000 de marchandises, cela signifie que la valeur du matériel est de 40 000 euros.
- Éléments incorporels : 40 000
- Matériel : 40 000
- Marchandises : 10 000
- Imputation du paiement comptant
L’acheteur paie 30 000 euros au comptant, en année N.
En l’absence de stipulations contractuelles contraires, les paiements comptants s’imputent d’abord sur les éléments incorporels, puis sur le matériel, et enfin sur les marchandises.
Ici, nous imputons donc 30 000 euros sur la valeur des éléments incorporels, il reste donc à payer à crédit :
- Éléments incorporels : 10 000 (40 000 - 30 000)
- Matériel : 40 000
- Marchandises : 10 000
- Imputation des paiements à crédit
Il reste à payer à crédit 90 000 - 30 000 = 60 000 euros. Si l’acheteur les paie en 6 ans, cela fait donc des annuités égales, de 10 000 euros chacune.
En l’absence de stipulations contractuelles contraires, les paiements à crédit s’imputent dans l’ordre inverse des paiements comptants, c'est-à-dire d’abord sur les marchandises, puis sur le matériel, et enfin sur les éléments incorporels.
Nous imputons donc 10 000 euros chaque année en suivant cet ordre. Année N + 1
- Éléments incorporels : 10 000
- Matériel : 40 000
- Marchandises : 0 (10 000 - 10 000)
Année N + 2
- Éléments incorporels : 10 000
- Matériel : 30 000 (40 000 - 10 000)
- Marchandises : 0 (elles sont totalement libérées)
INTRODUCTION AU DROIT - CORRIGÉ DU DEVOIR D0003
Année N + 3
- Éléments incorporels : 10 000
- Matériel : 20 000 (30 000 - 10 000)
- Marchandises : 0 (elles sont totalement libérées)
Année N + 4
- Éléments incorporels : 10 000
- Matériel : 10 000 (20 000 - 10 000)
- Marchandises : 0 (elles sont totalement libérées)
Année N + 5
- Éléments incorporels :
- Matériel :
- Marchandises :
Année N + 6
- Éléments incorporels :
- Matériel :
- Marchandises :
10 000
0 (10 000 - 10 000)
0 (elles sont totalement libérées)
0 (10 000 - 10 000 : ils sont libérés cette année) 0 (il est totalement libéré)
0 (elles sont totalement libérées)
Le fonds est donc entièrement payé en année N + 6.
- Quelle solution proposer aux Caramel pour laisser temporairement l’exploitation du restaurant à M. Shéfir ?
La solution la plus adéquate est de confier le fonds de commerce en location-gérance au cuisinier, qui deviendra alors le locataire gérant des Caramel, propriétaires loueurs du fonds. Ainsi, non seulement ils ne se dessaisissent pas de la propriété de leur fonds, mais en plus, cela permet d’assurer la survie de l’exploitation jusqu’à la fin des études du fils John.
Il s’agit d’un contrat par lequel le locataire gérant, commerçant, exploite le fonds de commerce pour son propre compte, mais à ses risques et périls, en contrepartie d’une redevance versée au propriétaire loueur.
On peut ainsi proposer aux parties de conclure une location-gérance à durée déterminée, seulement pour les trois ans d’études du fils. Il faut veiller à organiser, dans l’acte, la fin du contrat et ses conséquences, car la loi n’a rien prévu et laisse ici la plus grande liberté aux stipulations contractuelles.
En plus des conditions de droit commun pour conclure un contrat, la location-gérance implique que le loueur respecte certaines conditions :
- jusqu’en 2004, il devait avoir été personnellement commerçant ou artisan, ou directeur commercial ou technique, ou gérant dans une entreprise, pendant 7 ans au moins. Cette condition a été supprimée, mais elle était de toutes façons remplie en l’espèce (M. Caramel ayant été gérant de SARL pendant 15 ans) ;
- désormais, il doit seulement avoir exploité pendant 2 ans au moins le fonds mis en location-gérance, ce qui, en revanche, n’est pas le cas en l’espèce puisque le restaurant n’est exploité que depuis l’année dernière.
Il faut alors, avant de conclure le contrat, faire une demande de dispense judiciaire de délai, devant le président du TGI du lieu de situation du fonds, pour motif de maladie (cas de mise en location-gérance temporaire pour cause de maladie).
Il faut bien attendre d’obtenir la dispense de délai avant de conclure le contrat, car sinon, le contrat est nul. Il n’existe pas d’autres conditions à la validité du contrat, notamment pas de conditions de forme, mais l’inobservation des conditions de fond entraînent la nullité du contrat.
En revanche, il faut publier le contrat par avis dans un JAL et ensuite au BODACC. Le loueur doit se faire radier du RCS et le locataire gérant doit s’y inscrire.
- Quels sont les rapports du locataire gérant et du loueur avec M. Vernon, le bailleur de l’immeuble ?
- L’interdiction de sous-location dans le bail commercial
- Vernon se trompe en signalant cette interdiction pour faire échec à la location-gérance. Cela n’a aucune importance et n’influe en rien sur la mise en location-gérance du restaurant.
Le locataire du fonds de commerce n’est pas le sous-locataire des locaux. Un bail commercial qui interdit la sous-location du local ne peut donc pas faire obstacle à la location-gérance du fonds de commerce. Seule une stipulation expresse du bail pourrait l’interdire.
- Les personnes tenues des obligations du bail commercial
Là, en revanche, M. Vernon a raison : les Caramel restent tenus du bail commercial, le locataire gérant, M. Shéfir, n’ayant aucun rapport contractuel avec le bailleur de l’immeuble dans lequel le fonds est exploité :
- il n’a aucun droit à l’égard du bailleur d’immeuble, et notamment il n’a pas droit au statut des baux commerciaux et donc au renouvellement du bail de l’immeuble ;
- en contrepartie, le locataire gérant du fonds de commerce n’est pas obligé par le bail commercial, il n’est pas le cocontractant du bailleur d’immeuble et il n’a donc pas les obligations du propriétaire du fonds, qui reste seul tenu des obligations du bail.
- L’action des créanciers du locataire-gérant contre les Caramel est-elle possible ?
Cette action est possible, en effet, car la loi prévoit que pour les dettes d’exploitation nées du fait du locataire après la conclusion du contrat de location-gérance, il y a solidarité entre loueur et locataire jusqu’à la publication du contrat au JAL et pendant 6 mois après cette publication.
Les divers créanciers de M. Shéfir peuvent donc réclamer le paiement de leurs créances directement aux Caramel, qui seront obligés d’accepter l’action initiale du créancier. En revanche, ils pourront, par la suite, se retourner contre le locataire pour se faire rembourser de ce qu’ils auront dû payer aux créanciers.
Cependant, la solidarité ne joue pas pour toutes les dettes du locataire. La jurisprudence exige que les dettes concernées soient des dettes « répondant à une nécessité de l’exploitation ».
Elles ne doivent pas avoir un simple rattachement au fonds de commerce, car le principe veut que le locataire exploite le fonds à ses risques et périls, mais ces dettes doivent au contraire relever d’une nécessité propre :
- les achats ne correspondant à aucune nécessité propre de l’exploitation (comme les achats très coûteux) sont exclus : les Caramel devraient donc pouvoir essayer de se dégager de leur solidarité pour les dépenses d’architecte d’intérieur, dépenses dites « somptuaires ». La discussion peut aussi jouer pour l’achat du nouveau service, sans certitude ;
- de même, le propriétaire loueur peut se dégager de la solidarité pour des dettes résultant de l’imprudence du locataire : l’embauche des salariés peut rentrer dans ce cadre, mais sans certitude. Ce sera au juge de décider.
Lorsque la solidarité joue, il se pose la question de la date de ces dettes : il suffit, pour entraîner la solidarité du loueur, que les dettes naissent pendant les 6 mois en cause, même si leur échéance est bien postérieure.
C’est bien le cas en l’espèce, toutes les dettes ayant été contractées dès le début du contrat de location-gérance.