Cours sur le management du changement et deploiement du systeme d’information
Cours sur le management du changement et déploiement du système d’information
1. Introduction
La notion de changement est connue de tous et, si nous partons du principe que dans l’univers rien n’est immuable, nul ne peut y échapper durablement. Parmi les thèmes qui font l’actualité, nous pouvons, par exemple, citer le vieillissement, auquel nous ne pouvons pas nous soustraire, les changements climatiques, les changements génétiques (OGM, clonage), les changements technologiques (informatique, énergie), les changements politiques (« le changement c’est maintenant », selon François Hollande), les changements économiques (crise financière, crise de l’Euro), et la liste n’est de loin pas exhaustive. Dans le cadre de cet article, nous allons cependant explorer uniquement les changements organisationnels survenant en entreprise lorsque cette dernière adapte, tant bien que mal, ses systèmes d’information pour assurer sa pérennité dans un environnement subissant lui-même de constantes mutations.
Dans le domaine de l’économie et des entreprises, le rythme des changements s’est accéléré durant le vingtième siècle ; les opportunités technologiques, la libéralisation des marchés au niveau mondial, les cycles de vie toujours plus courts des produits sont les causes le plus souvent citées pour expliquer ce phénomène. Dans le domaine technologique, les auteurs ont cependant démontré que l’innovation et la nouveauté ne suffisent pas à engendrer un changement organisationnel. En effet, aussi géniales soient elles, si les individus ne leur donnent pas un sens, les inventions demeureront purement inutiles. Ainsi, pour qu’une technologie nouvelle génère un changement, il faut que les individus lui trouvent un sens puis qu’ils l’utilisent pour servir leur but. Dans le monde de l’entreprise, le changement est donc intimement lié aux individus, à leur interprétation, à leur volonté et à leur but.
Les contours de l’implantation d’un nouveau système informatique ne peuvent donc pas être limités à la description technique et mécanique du remplacement d’un outil par un autre plus récent. En effet, les nouvelles contraintes engendrées par un système d’information (par exemple un ERP) vont imposer aux utilisateurs une modification de leur pratique, de leurs compétences et de leurs liens sociaux au sein de l’entreprise ; la technologie devient ainsi un prétexte pour faire évoluer l’organisation. Ces transformations, directement liées aux acteurs, nécessitent de leur part un temps d’acceptation et d’adaptation, plus au moins conséquent selon les cas, avant que l’entreprise puisse bénéficier pleinement des fonctionnalités du nouvel outil.
Sur la base de ce constat, l’enjeu des dirigeants et du management est donc de minimiser les impacts des phases d’adaptation et d’acceptation pour que les activités courantes de la société puissent continuer sans heurt. A cette fin, la conduite du changement propose des méthodologies et des outils permettant d’atteindre ce but voire d’aller au-delà, en construisant une culture du changement. Selon KANSAL (2006), les contraintes d’un projet de changement de système d’information se déclinent en cinq catégories : techniques, organisationnelles, humaines, financières et temporelles. Dans le cadre de cet article, nous allons volontairement laisser les aspects techniques de côté pour nous concentrer sur les aspects humains et organisationnels.
2. Qu’est-ce que le changement et sa conduite ?
Le changement est intimement lié à la stabilité car il permet de qualifier le mouvement qui s’oppose à elle. Au début du XXème siècle, les entreprises scientifiquement organisées, selon les principes de Taylor, avaient un but de stabilité et de maîtrise de leur organisation afin de maximiser la production et de diminuer les coûts. Cependant, aujourd’hui, les innovations technologiques rapides, l’internationalisation de la concurrence et la volatilité de la clientèle font entrer les entreprises dans un tourbillon de changements permanents auxquels il faut pouvoir ou, mieux, savoir s’adapter.
Pour constater l’ampleur du phénomène, il suffit de penser à la part d’activités gérée en mode « récurrent » et à la part gérée en mode « exception ou projet ». La mise en place de procédures d’exception ou de groupes de projet pour répondre à une demande spécifique répond à des besoins issus d’un changement par rapport à une norme établie. A ce propos, un des plus gros consommateurs de moyens destinés à la gestion de projet est l’informatique : installation de nouvelles versions logicielles, développement de nouvelles fonctionnalités ou changement radical de technologie sont autant d’exemples de mutations qui n’entrent pas dans un flux récurrent et organisé par des procédures routinières. Cependant l’ensemble des exemples ci-dessus ont un point commun : nous pouvons identifier le début de la démarche, son but et sa fin. Ainsi, nous définirons le changement comme le processus qui mène d’un point A vers un point B et cela même si le point B n’est pas très clairement identifié dès le départ.
Si nous appliquons à la lettre le dicton « nous savons ce que nous laissons, mais pas ce que nous allons trouver » le mode par défaut des hommes est le statu quo. La condition préalable à tout changement est donc la volonté de changer son état actuel. Cette volonté peut être exprimée, globalement ou individuellement, par l’ensemble des acteurs de l’entreprise : exécutants, dirigeants ou cadres intermédiaires et elle est souvent influencée par des facteurs externes tels que le cadre légal, la concurrence, l’évolution technologique, etc. Si la stabilité se traduit par un confort offert par les routines, les habitudes et la sécurité d’un existant connu et maîtrisé et le fait de changer représente quant à lui un risque. Alors pourquoi éprouvons-nous le besoin de se lancer dans un processus inconfortable qui nous conduira vers une solution nouvelle et abstraite ?
La balance du changement ci-dessus, proposée par MOUTOT et AUTISSIER (2010), illustre qu’en fonction du niveau de risque perçu par les acteurs, leur volonté penchera du côté du statu quo ou du changement. Par exemple, lorsque l’existant est menacé par un environnement en trop grand décalage avec les pratiques actuelles, la stabilité peut mettre les acteurs dans une forte situation d’inconfort. Par conséquent, ils préféreront se soumettre à une transformation de leurs habitudes en vue d’atteindre un équilibre futur. Quel que soit l’exemple choisi, le changement représente toujours une rupture dans le fonctionnement habituel et, selon l’ampleur du projet, l’ensemble des éléments suivants de l’entreprise peuvent être concernés :
…
La conduite du changement met à disposition des méthodes et des outils qui permettront de gérer la transition menant d’une situation initiale vers une destination souhaitée. Elle vise à faire adhérer au processus les destinataires et les bénéficiaires du changement. Selon AUTISSIER et al. (2010), « le terme conduite du changement a vu le jour essentiellement avec les projets informatiques et plus particulièrement avec les projets d’implantation des progiciels de gestion intégrés (PGI ou ERP) ». En effet, lorsque les éditeurs informatiques (par exemple SAP) ont mis sur le marché des solutions « clé en main », les dirigeants d’entreprise sont entrés dans une logique où les tâches ont dû s’adapter aux systèmes informatiques. L’adoption d’un nouvel outil de type ERP génère inévitablement des nouvelles pratiques et de nouvelles conditions de travail pour les collaborateurs. Au-delà, les possibilités offertes par les nouvelles technologies peuvent également modifier les métiers et la stratégie d’une entreprise et, à terme, sa culture. La conduite du changement vise donc à encadrer cette transition pour qu’elle puisse se dérouler sans compromettre l’accomplissement des activités quotidiennes de la société.
Il existe plusieurs approches et outils pour mener à bien la conduite du changement. En fonction du type de projet à mener et de la culture de l’entreprise, nous pouvons privilégier une approche à une autre ou, au contraire, appliquer plusieurs méthodes et outils simultanément. Dans un premier temps, il est donc important de réaliser un diagnostic pour déterminer quelle approche sera privilégiée pour le cas auquel nous sommes confrontés. En outre, en cours de projet, il sera également nécessaire de réévaluer ses choix initiaux en fonction des résultats constatés et, au besoin, d’apporter des corrections. En matière de conduite du changement, MOUTOT et AUTISSIER (2010) distinguent quatre approches :
- L’approche projet. Nous sommes ici en présence d’une organisation en mode projet pilotéeØ par une équipe ad hoc. Dans ce cas, la conduite du changement sera intégrée dans les tâches du groupe de projet et, en général, elle se limitera à des actions de communication et de formation des utilisateurs.
- L’approche intégrée. Il s’agit des méthodes proposées par les cabinets de consultants consistant à dérouler une méthodologie standard développée par eux. En général, ces méthodes sont divisées en trois phases : l’étude d’impact, le plan de communication et le plan de formation.
- L’approche psychosociologique. Les méthodologies qui s’y rapportent sont proposées par des spécialistes en ressources humaines ou des sociologues. Elles s’appuient sur l’étude comportementale des acteurs d’une organisation en vue d’éviter les blocages (résistance au changement), d’augmenter l’adhésion et d’assurer la participation au projet.
- L’approche instrumentalisée. Dans ce cas, les spécialistes de la gestion du changement sont des collaborateurs de l’entreprise qui maîtrisent parfaitement les rouages de l’organisation et la conduite du changement. Ainsi, en fonction des projets, ils pourront déployer la méthodologie et les outils adaptés au contexte.
Ces différentes approches issues de différentes disciplines (management, sociologie et psychologie) démontrent que la manière d’appréhender et de gérer le changement en entreprise peut varier. MOUTOT et AUTISSIER (2010) différencient d’ailleurs trois types de management distincts. Le premier est axé sur la collaboration et la participation des acteurs, le second fait la part belle à la formation et à la communication et le troisième s’applique lorsque les circonstances exigent une intervention non négociable des dirigeants. Cette pluralité des approches et des styles de management nous mène à la conclusion qu’il existe, au sein des entreprises, différents types de changement qu’il s’agit de traiter de manière adéquate.
3. La typologie du changement AUTISSIER et al.
(2010) proposent de classifier le changement selon une matrice à deux axes qui délimitent quatre types distincts. Le premier axe se déploie entre la rupture, soit l’obligation pour l’organisation de mettre en œuvre un changement radical pour assurer sa pérennité, et le changement permanent, soit une culture d’entreprise ouverte et apprenante dans laquelle les collaborateurs ont suffisamment d’autonomie pour s’adapter quotidiennement à des situations nouvelles et où le changement n’est pas perçu comme une révolution. Le second axe est celui des contraintes, est-ce que le changement est négociable ou est-il imposé ?
Des causes externes sont souvent citées pour justifier une décision de changement, la concurrence, les nouvelles technologies, la demande volatile des clients, etc. « s’adapter ou mourir » est devenu un précepte du management. Cependant, BERNOUX (2010) avance qu’il n’y a pas de changement sans volonté des acteurs. Par conséquent, même s’il est largement influencé par un environnement en mutation, le changement demeure la décision d’un individu ou d’un groupe d’individus. Les initiateurs devront ensuite faire adhérer l’ensemble des membres de l’organisation à leur idée du futur ou, à défaut, se séparer de certaines personnes bloquantes pour imposer leur vision.
Le changement continu
L’adaptation permanente permet de dépasser la vision « projet unique avec un début, un but à atteindre et une fin » pour inscrire la transformation comme un fonctionnement à part entière de l’organisation. La mutation de l’organisation se déroule en appliquant un processus incrémental et continu, sans qu’il soit jamais nécessaire d’envisager un changement rapide et radical. Dans ce type, on est loin de l’hypothèse selon laquelle les dirigeants prennent des décisions justes et rationnelles. Ici, les changements se construisent sur le terrain dans les interactions entre individus qui appliquent des solutions résolvant leurs problématiques quotidiennes.
Ce type de changement s’inscrit dans les approches organisationnelles de « l’entreprise apprenante » et, au niveau des développements informatiques, nous retrouvons les valeurs et principes de l’agilité. Il s’agit de capitaliser sur la valeur humaine et sa capacité à faire face à des situations imprévues. En effet, dans un processus de changement continu nous connaissons le point de départ mais l’arrivée, les contours du chemin à suivre et la durée du voyage demeurent très souvent des inconnues. Seule la stratégie est déterminée et les collaborateurs doivent disposer de suffisamment d’autonomie pour mettre en œuvre les moyens nécessaires à sa réalisation.
Le changement organisé
L’autonomisation des collaborateurs et la non-formalisation des plans opérationnels peuvent poser des problématiques de management. En effet, le type de culture d’entreprise cité au point précédent peut s’avérer perturbant pour certains dirigeants qui auront l’impression de naviguer à vue et également pour certains collaborateurs qui ne souhaitent pas s’impliquer et prendre des décisions. Le changement organisé permet d’offrir une possibilité d’expression aux collaborateurs (cercles qualité par exemple) mais impose également un filtre qui permettra aux dirigeants de sélectionner uniquement les changements en ligne avec les objectifs préétablis. Une démarche en quatre étapes est proposée :
1) Définir clairement le problème à résoudre
2) Examiner les solutions déjà essayées et qui n’ont pas fonctionné
3) Définir clairement le changement auquel on souhaite aboutir
4) Formuler et mettre en œuvre un projet pour effectuer le changement
Le changement proposé
Dans le cas du changement proposé, se sont les cadres intermédiaires qui tiennent le rôle principal. En effet, lorsqu’une modification radicale, faisant suite à une décision du top management, doit être opérée dans l’organisation de l’entreprise, c’est à eux d’implémenter la nouvelle orientation. A l’inverse, lorsque se sont les collaborateurs qui souhaitent imposer une transformation au top management, c’est à nouveau les cadres intermédiaires qui devront rendre les propositions et les initiatives attractives pour convaincre. Qu’importe le lieu où il trouve ses racines, un changement par la rupture ne peut faire l’impasse d’une négociation entre les différents groupes d’acteurs. Le changement proposé est donc avant tout un long processus de négociation entres les différents acteurs de l’organisation. Chaque membre, aux deux extrémités de la hiérarchie, devra trouver un sens dans le changement et adhérer à la nouvelle stratégie. Dans ce contexte, les cadres intermédiaires jouent souvent un rôle clé dans les négociations car ce sont eux qui, au final, disposent du pouvoir de faire appliquer tout, ou partie, de la nouvelle stratégie.
Le changement dirigé
Face à l’inadéquation entre le fonctionnement de l’entreprise et son environnement, tout bon dirigeant réagit en changeant la stratégie, les systèmes de gestion ou la structure organisationnelle. De part son caractère radical et unilatéral, le changement dirigé est considéré comme un moyen d’assurer la survie de l’organisation et d’améliorer ses résultats à court terme. Les décisions prises peuvent être un changement d’activité, une transformation du but stratégique pour répondre à une nouvelle vision des dirigeants ou l’implémentation d’une politique de redressement afin de répondre à une situation de crise grave.
Dans le cas du changement dirigé, les décisions sont radicales et non négociables. Les différents acteurs présents dans l’organisation doivent donc adhérer aux décisions imposées ou envisager leur départ. En outre, le top management devra également se questionner sur la capacité des collaborateurs actuels à fonctionner dans la nouvelle entreprise. En effet, il n’est pas garanti que les recettes qui ont fonctionné jusqu’à présent continueront à porter des fruits après la refonte de l’entreprise. Les dommages humains sont donc souvent assez importants lorsque ce type de changement en mis en pratique.
SECONDE PARTIE – LES MECANISMES DU CHANGEMENT
4. Identification des facteurs d’échec et de succès
Dans ce chapitre, nous énumérerons les résultats et constatations publiées par différents auteurs à propos des facteurs d’échec et de succès de projets de changement et, plus particulièrement, ceux mettant en cause les systèmes d’information. Nous soulignons que cette partie n’est pas exhaustive et ne relève pas d’un travail rigoureux d’identification des facteurs d’échec et de succès. Tout au plus, une méthodologie scientifique a été réalisée en amont par les auteurs cités qui sont donc seuls responsables des résultats et chiffres publiés.
En matière de mesure des résultats obtenus lors de projets informatiques, il existe plusieurs chiffres dont ceux publiés dans une étude du Gartner Group en 2004 (citée par MOUTOT et AUTISSIER, 2010) qui relevait que :
- 25% des projets génèrent les bénéfices escomptés alors que
- 66% des projets dépassent le budget, accumulent du retard ou ne déploient pas les fonctionnalités prévues dans le cahier des charges initial.
En 1995, le Standish Group avançait des chiffres encore plus dramatiques dans un rapport baptisé « chaos ». En effet, selon lui seulement 16.2% des projets de développement informatique sont un succès alors que 83.8% n’ont pas atteint leur but ou sont en échec total. Pourquoi les projets informatiques conduisent-ils aussi souvent à l’échec ? Quelles sont les facteurs auxquels il faut être attentif ? Sont-ils purement techniques ou sont-ils également liés aux aspects de conduite du changement ?
Table des matières :
PREMIERE PARTIE – LES BASES DE LA CONDUITE DU CHANGEMENT
1. Introduction ...................................... 4
2. Qu’est-ce que le changement et sa conduite ? ..................... 5
3. La typologie du changement .............. 7
SECONDE PARTIE – LES MECANISMES DU CHANGEMENT
4. Identification des facteurs d’échec et de succès.......................................................... 10
4.1. Constat dans le développement de systèmes informatiques ................................ 10
4.2. Constat dans le déploiement de systèmes informatiques ..................................... 12
4.3. Synthèse et conclusion relatives aux facteurs d’échec et de succès...................... 12
5. Les leviers de la conduite du changement.................................................................... 13
5.1. La culture d’entreprise............................................................................................ 14
5.2. L’acteur, le rôle et le sens....................................................................................... 15
5.3. L’accompagnement et la formation ....................................................................... 17
5.4. La communication et la dynamique de groupe ...................................................... 19
6. La résistance au changement ........................... 19
7. La planification et les coûts ............................. 21
TROISIEME PARTIE – LA PRATIQUE DU CHANGEMENT
8. La conduite du changement en trois phases ................................................................ 23
8.1. La préparation du changement .............................................................................. 23
8.2. L’implémentation du changement ......................................................................... 25
8.3. L’évaluation du changement .................................................................................. 26
8.4. Analyse du cas MADAR (résumé d’AL-SHAMALN, 2011)........................................ 27
9. Conduite du changement et méthodes agiles.............................................................. 28
QUATRIEME PARTIE – APPORT PERSONNEL
10. Choisir une méthodologie de conduite du changement.............................................. 29
11. Conclusion et avis personnel ..................... 31
12. Bibliographie .............. 32
Liste des figures
I. La balance du changement ............................ 5
II. Les lieux de changement .............................. 6
III. La matrice des changements ........................ 8
VI. Classification des outils et méthodes. .......................... 13
V. Courbe de diffusion des innovations ........................... 16
VI. Matrice des styles pédagogiques .......................... 18
VII. La courbe en S de la conduite du changement ................. 22
VIII. Matrice de criticité ....................................... 24
IX. Choisir sa conduite du changement .................... 30
Liste des tableaux
I. Tableau I : Modèle de préoccupation ..................... 17