Cours d’introduction aux contextes du marketing business to business
Cours d’introduction aux contextes du marketing business to business
Chapitre 1 Les spécificités du marketing business to business
Les objectifs du chapitre
• Comprendre la nature et l’étendue des activités business to business
• Identifier les caractéristiques essentielles des marchés business to business
• Replacer les outils classiques du marketing dans le contexte business to business, qu’il s’agisse de marchés industriels récurrents ou de marketing de projet
• Découvrir les outils propres au marketing business to business
L’expression business to business est un anglicisme désignant l’ensemble des entreprises fournissant des produits ou des services à d’autres entreprises, administrations ou collectivités locales. L’expression est souvent employée en abrégé : marketing B to B. Pourquoi ne pas utiliser plus simplement une expression française ? Il y aurait au moins quatre solutions, mais aucune n’est vraiment satisfaisante.
• Le marketing d’entreprise à entreprise : traduction la plus logique, elle est restrictive en ceci qu’elle exclut les organisations qui ne sont pas des entreprises au sens classique du terme, telles que les administrations et les collectivités locales. En soi, le terme marketing interorganisationnel qui pourrait également être utilisé, ne l’est pas souvent dans les faits, considéré comme trop théorique ou insuffisamment explicite.
• Le marketing industriel : terme facile à comprendre, il présente l’inconvénient d’être restrictif, plus encore que le précédent. Les firmes du secteur des services, de la restauration à la banque, ne se retrouvent pas sous ce vocable qui convient en revanche parfaitement aux secteurs du bâtiment et des travaux publics, de l’automobile, de la machine-outil ou de l’aéronautique.
• Le marketing professionnel : cette expression présente l’inconvénient de l’ambiguïté du terme « professionnel » en français. Elle décrit d’une part, une transaction entre professionnels, où professionnel s’entend par opposition à grand public. Mais, d’autre part, elle peut signifier qu’il s’agit d’un marketing pour spécialistes, ce qui laisserait entendre, de façon péjorative, que le marketing en grande consommation serait un marketing pour « amateurs ».
• Le marketing d’affaires : cette expression souffre également de l’ambiguïté du terme « affaires » et de sa perception parfois encore péjorative. En outre, le marketing d’affaires existe bien : le terme est utilisé pour les firmes dont l’activité est cyclique, organisée autour de projets, de chantiers ou de missions successives commandées par le client (cf. chapitre 5). Il est également appelé « marketing de projet »1. Ainsi, dans le secteur du gros équipement électrique ou des travaux publics, le concept d’affaires se superpose à celui de client au sens classique du terme.
Il faut donc conclure que le terme business to business n’a pas d’équivalent aussi englobant en français et, pour cette raison, se trouve ainsi souvent utilisé. Le marketing business to business englobe toutes les transactions de biens et services conçus et vendus à d’autres organisations et personnes morales (du travailleur indépendant à la multinationale en passant par les prestataires de services, les organismes publics, les associations ou les organisations non gouvernementales). Le poids économique du secteur business to business est dès lors considérable et dépasse celui, certes plus immédiatement visible, du secteur des biens de grande consommation2.
1. Les principaux domaines d’activités du business to business
Le terme générique de « biens industriels » présente l’intérêt de véhiculer simplement la notion globale de biens destinés à des professionnels. Les biens industriels, dans leur acception la plus large, comprennent l’ensemble des biens, produits ou services, fabriqués et vendus par des entreprises à d’autres entreprises : industriels, organismes ou professionnels. Ainsi, les biens industriels s’adressent-ils aussi bien aux producteurs de matières premières, aux transformeurs, aux assembleurs, aux assembleurs incorporateurs (« Original Equipment Manufacturers » ou OEM), aux négociants, aux fabricants de produits semi-finis, aux distributeurs et aux prestataires de services. Notons dès à pré- sent que l’une des différences majeures avec le secteur de la grande consommation réside dans la nature très diversifiée de ces clients qui achètent des biens à titre professionnel, c’est-à-dire dans le cadre du fonctionnement de leur organisation.
Les biens industriels se caractérisent également par leur très grande hétérogénéité : blé, coton, ciment, microprocesseurs, moteurs, machines-outils, turbines, avions, conseil, services financiers… Pour cette raison, plusieurs méthodes de classification ont été notamment utilisées3. La première préconisée notamment par Kotler4 et Saporta5 présente l’avantage de situer les biens industriels en trois grandes catégories :
• les biens entrant dans le produit final (entering goods ou input goods) ;
• les biens d’équipement entrant directement dans le processus de fabrication (production goods ou equipment goods) ;
• les biens et services industriels n’entrant pas directement dans le processus (facilitating goods ou supply goods).
Loin de représenter un contexte homogène, le business to business recouvre en réalité des contextes très différents. Il est tout d’abord nécessaire de différencier les situations en fonction du type de clients et de prestations délivrées, puis en fonction des différentes approches marketing, elles-mêmes définies par le destinataire final.
1.1. Les trois types de marketing B to B6
• Le B to B de grande diffusion s’adresse à une clientèle professionnelle mais en très grand nombre à l’instar notamment des TPE, des professions libérales pour les fournitures de bureau et l’informatique. Un autre exemple est fourni par les électriciens, les artisans indépendants, les PME spécialisées et les services internes des grandes structures qui constituent de fait un marché de masse pour les fournisseurs des équipements électriques basse tension. Le grand nombre de clients potentiels permet alors d’utiliser de nombreux outils identiques à ceux du B to C aussi bien pour les études de marché que pour les outils de communication et de vente.
• Le B to B récurrent, anciennement appelé « marketing industriel », est caractérisé par une relation continue entre le fournisseur et le client. Les produits/services proposés ne sont alors plus standard mais customisés, voire totalement dédiés à un compte clé. L’équipement automobile illustre ce contexte. Si Valeo fournit l’équipement électrique de la Peugeot 308, les échanges d’informations, de produits ainsi que de transactions financières sont quasiment continus sur une période de plusieurs années. Généralement caractérisé par un faible nombre d’acteurs (clients intégrateurs), ce contexte a permis de révéler les particularités de l’achat d’organisation avec l’importance des enjeux et des risques encourus ainsi que la complexité des influences concourant à la décision finale.
• Le marketing de projet ou d’affaires est caractérisé par une relation non continue entre le fournisseur et le client, et souvent par des procédures d’achat longues et complexes par appel d’offres. Du côté du fournisseur comme de l’acheteur, un plus grand nombre de personnes sont impliquées dans la préparation de l’affaire, dans la sélection de la solution puis dans le suivi du projet et l’après-vente.
1.2. Les quatre types d’approches marketing par destinataire final
Derrière l’appellation business to business, différentes approches peuvent être définies en fonction de leur cible finale :
• B to B classique dont la cible reste l’organisation cliente sans qu’il soit possible d’identifier spécifiquement des bénéficiaires individuels, qu’ils soient internes ou externes à cette organisation. Par exemple, le carburant, l’électricité, les fournitures consommées pendant le processus de production, les services financiers ou informatiques servent non pas un responsable ou un département en particulier mais l’organisation dans son ensemble.
• B to B to E qui se réfère à l’approche allant jusqu’aux employés de la structure cliente, privée ou publique. Il s’agit de biens et de services qui sont bien vendus à l’organisation mais qui, au final, sont utilisés ou consommés individuellement et professionnellement par des employés utilisateurs. Ce contexte s’illustre notamment par les EPI (équipements de protection individuelle : lunettes, gants, chaussures de protection, tenues de travail…), les véhicules de fonction et les services avec notamment la restauration d’entreprise ou les prestations de santé, de retraite et de formation.
• B to B to C qui cible les clients consommateurs des produits finis fabriqués par l’organisation cliente. Les ingrédients, de la farine biologique à la fibre d’élasthanne, mais aussi les emballages, les composants comme les micro-processeurs et les petits équipements de l’automobile ou du bâtiment relèvent de cette catégorie. Ces produits peuvent se prêter à un co-branding vertical réunissant la marque du fournisseur et la marque de l’intégrateur. Contrairement au cas présenté dans la catégorie suivante, l’acheteur final achète lui-même le bien qu’il sera le seul avec son entourage à utiliser, qu’il s’agisse d’un produit alimentaire, d’un vêtement, d’un véhicule ou même d’un logement.
• B to B to U qui cible non pas un consommateur mais un utilisateur (parfois appelé « usager » dans le cas des services publics). Contrairement à la situation « B to B to C », l’utilisateur est dans une certaine mesure « passif » puisqu’il ne peut intervenir directement dans le processus de choix du bien mis à sa disposition. Dans la plupart des pays, l’organisation directement cliente dans ce type de transaction « B to B to U » est en général une collectivité locale ou un gouvernement qui relève du code des marchés publics et qu’il est convenu d’appeler Administration, d’où l’utilisation de B to A (ou parfois B to G pour « Government »). Puis, le bien ainsi acquis est utilisé par l’utilisateur final (U). Il peut s’agir d’équipements lourds de transports en commun (tramways, bus, métro, trains à grande vitesse, hélicoptères et avions) mais également d’équipements correspondant aux services publics de santé (hôpitaux publics), d’éducation (écoles, lycées, universités), de loisirs, sportifs (stades, gymnases, piscines, palais des sports) et culturels (salles de spectacles, salles de congrès…). Dans ce contexte « B to A to U », l’utilisateur final n’achète pas un bien de façon individuelle mais il le loue de façon provisoire en payant un ticket d’accès, un droit d’usage ou un impôt.
2. Les caractéristiques du marketing business to business
Le business to business est caractérisé non seulement par le nombre des secteurs d’activités qu’il concerne mais également par la complexité de son environnement, radicalement différent de celui de la grande consommation. Les spécificités suivantes permettent d’en apprécier les dimensions. À noter que deux autres grandes notions propres au business to business – la demande dérivée et le centre d’achat – seront plus spécifiquement détaillées dans le chapitre 2.
2.1. Un nombre restreint de clients potentiels
La nature même des produits et des services vendus limite le nombre de clients potentiels directs, principalement en raison de la concentration des secteurs d’activités. Si l’entreprise s’adresse à un secteur très concentré, le petit nombre de concurrents en présence se traduit par une clientèle réduite et l’impératif absolu de soigner la relation client au sein du cercle restreint d’acteurs évoluant sur le marché (village). Le marché est concentré : les clients sont bien informés et organisés. L’automobile, l’aéronautique, mais aussi le secteur de l’énergie, en sont de bonnes illustrations. Par exemple, un fabricant de sièges automobiles a vu le nombre de constructeurs de véhicules au niveau européen se ramener à une dizaine, renforçant de fait ses relations avec ces donneurs d’ordre. De même, dans l’aéronautique, toutes tailles d’avions confondues, une entreprise peut rarement s’adresser à plus de dix clients différents.
La principale conséquence de ce faible nombre de clients potentiels est de rendre possible leur suivi exhaustif, qu’ils soient prospects ou clients :
• En matière d’études, l’échantillonnage est en effet superflu et il faut étudier l’ensemble de la cible.
• En matière de force de vente, le repérage exhaustif des entreprises permet de mesurer précisément le travail et les performances de la force de vente.
Cette spécificité n’est cependant pas tout à fait générale. Certains produits, par leur caractère banalisé, s’adressent à des milliers d’entreprises : le petit matériel de bureau en est l’exemple. Dans ce cas, les moyens d’études comme de communication s’inspireront beaucoup plus de ceux utilisés en Grande Consommation.
2.2. Des clientèles hétérogènes
La deuxième caractéristique du business to business est la très grande différence qui peut exister entre deux clients potentiels d’un même produit :
• La différence de taille : un écart de 1 à 1 000 se rencontre fréquemment dans le potentiel d’achat de fournitures telles que les produits pétroliers, le matériel électrique, mais aussi les photocopieurs, si l’on prend en compte les différents établissements d’un même groupe par exemple (grand compte).
• La différence de motivation : telle entreprise aura par exemple pour premier souci la garantie de dépannage très rapide, contrairement à son concurrent pour lequel le coût d’acquisition restera le premier critère de décision.
• La différence de mode de fonctionnement : en fonction même de la nature de leur activité et de leur secteur d’origine, mais également de leur structure (TPE, PME, grandes entreprises), les organisations publiques, les associations, les groupements et les entreprises industrielles ou commerciales procèdent de manière très différente dans leur mode d’acquisition d’un même bien (centralisé, localisé, appels d’offres…). Par ailleurs, les négociations commerciales entre un fournisseur et un client qui se trouve lui-même être le fournisseur du premier pour une autre catégorie de produits ou services, ne sont pas rares. Il arrive même que le fournisseur vende certains produits de son offre à un concurrent avec lequel il collabore par ailleurs conjointement sur un programme d’innovation et dont il peut être également client 7. Ce cas de figure se rencontre par exemple dans le domaine spatial entre des intégrateurs de satellites.
• La différence d’implantation géographique : elle s’observe entre des clients placés au cœur de grandes zones d’activités par opposition à des usines relativement isolées ou éloignées, y compris au plan international.
2.3. Une clientèle souvent internationale
La concentration des secteurs industriels et la spécialisation progressive des entreprises ont amené celles-ci à élargir leur « territoire de chasse ». Ainsi, même des entreprises de taille moyenne travaillent fréquemment avec des pays voisins. Si l’on prend l’exemple d’une entreprise spécialisée en fournitures de matériel de conditionnement de yaourt par thermoformage, l’étroitesse de son marché est telle que l’entreprise va rapidement chercher à s’adresser au marché international (cf. chapitre 17).
2.4. Un processus d’achat de groupe
Une entreprise industrielle comporte en général un service achats bien formalisé qui est une des composantes d’un ensemble moins formel, le Centre d’Achat (cf. chapitre 2). Ce dernier regroupe les différents interlocuteurs concernés de façon directe ou indirecte par la décision d’acquisition : les acheteurs eux-mêmes mais également les utilisateurs, les prescripteurs ou les décideurs. C’est cette juxtaposition d’acteurs qui explique et nécessite la sophistication des approches B to B pour vendre et communiquer (cf. chapitre 2).
2.5. Le rôle actif du client
Le client lui-même participe à la qualité du produit ou du service vendu, des études jusqu’à la consommation du produit :
• Dès la phase des pré-études, le client intervient pour faire connaître ses vrais besoins au fournisseur. Par exemple, il peut fournir un cahier des charges permettant de mieux définir son besoin.
• L’efficacité commerciale du client industriel contribue elle-même à la satisfaction des produits et matériels achetés. Si, par exemple, un fabricant hésite entre deux machines de conditionnement concurrentes, il est possible qu’en fonction de ses prévisions, l’entreprise choisisse la machine la plus performante. Mais si commercialement le produit est un échec, l’entreprise cliente ne pourra pas vérifier la fiabilité du matériel à haut rendement…
• Le client industriel joue donc un rôle actif dans la consommation du service apporté par son fournisseur industriel, depuis sa capacité à vendre le produit final dans la quantité prévue jusqu’à son aptitude à se servir correctement du matériel. Des machines de plus en plus sophistiquées ont en réalité des performances très variables en fonction des compétences des utilisateurs. Ceci veut dire que la formation, l’assistance technique et les services à valeur ajoutée jouent un rôle déterminant dans l’efficacité du marketing.
2.6. Une forte implication réciproque entre clients et fournisseurs
L’ensemble des transactions business to business intervenant entre les fournisseurs et les clients suit un chaînage de ventes successives, depuis l’amont vers l’aval : les notions de demande dérivée et de filière, détaillées au chapitre 2, traduisent cette interdépendance des différents acteurs tout au long de la chaîne de production du secteur. Par voie de conséquence, les relations entre client et fournisseur bénéficient généralement en business to business d’une meilleure fidélisation que dans les secteurs de la Grande Consommation. Plusieurs études établissent à une dizaine d’années la durée moyenne de la relation client-fournisseur (souvent davantage encore pour les biens d’équipements et beaucoup moins pour les produits ayant moins d’incidence stratégique, technique ou financière tels que certains composants)8. La raison principale à cela réside dans la complexité technique des dossiers, qui implique une collaboration régulière : le temps passé avec les interlocuteurs du client permet de mieux les connaître, de mieux se faire apprécier, à condition qu’on recherche toujours à satisfaire leurs attentes. Le changement de fournisseur peut être dans certains cas extrêmement dommageable en termes de coûts, de méthodes, de qualité, de garantie et de sécurité pour l’entreprise cliente. Le montant des sommes en jeu et la durée de vie prévue des investissements lourds nécessitent la création de relations contractuelles fortes. Afin de répondre, par exemple, à l’impératif pour un constructeur automobile de livrer en flux tendu, le fournisseur de sièges peut proposer et obtenir un changement d’organisation dans la réception des pièces : afin que les sièges parviennent directement sur la chaîne au moment de l’assemblage, selon le principe du zéro stock, il sera nécessaire de créer un nouvel accès direct dans le bâtiment.
Ces relations supposent un double engagement du fournisseur :
• Sur la confidentialité des projets du client tout d’abord. Il est courant dans l’industrie automobile qu’un fournisseur participe à l’élaboration du futur projet destiné à remplacer dans les six ans un modèle récemment lancé. Le besoin de confidentialité sera d’autant plus grand que le constructeur sait que l’équipementier est également fournisseur d’autres constructeurs concurrents.
• Le second aspect de l’engagement devra porter sur la garantie pour le client de pouvoir se procurer les pièces de rechange, voire les consommables spécifiques, tout au long de la durée de vie de l’équipement, ce notamment dans le secteur de la machine-outil.
Le marketing relationnel9 est l’essence même des approches business to business, que ces relations soient liées au marché concerné directement (fournisseurs, clients, concurrents, partenaires) ou plus indirectement (organisations ou individus extérieurs au marché mais qui peuvent influencer les courants d’affaires). La création de réseaux d’affaires formels et informels représente souvent une priorité commerciale en B to B10.